- Demoli Yann, Lannoy Pierre, Sociologie de l’automobile, La Découverte, 2019, p. 34.
Sitting in front of the mirror convoque des œuvres qui questionnent notre rapport au désir et à l’estime de soi. Par la sculpture, l’installation, la vidéo ou la peinture, cette double exposition à la Chaufferie et à GarageCOOP dévoile des œuvres qui traitent par extension du rêve, de la perception que l’on a de nous-même, de l’image que l’on souhaite renvoyer ou encore de la manière dont on est réellement perçu par autrui. Sous différentes formes, les artistes mettent ici en scène : l’aspiration, le souvenir, l’absence, le manque ou la solitude à combler. En tant qu’individu, nous nous heurtons tou.te.s à des désirs qui ne semblent pas toujours atteignables. La mélancolie est elle-même une crise du désir, une fatigue d’être soi, d’être un autre, la peur de n’être finalement personne.
Le titre donné à cette exposition collective parle de cette fameuse image, ce reflet qui nous renvoie à la réalité. Ainsi, l’objet miroir devient le lieu privilégié de cette quête identitaire et intime : qui suis-je ? que vais-je devenir ? quelles sont mes aspirations ? Porteurs d’humour, d’ironie ou de réflexions plus profondes, ces questionnements existentiels – que nous avons tou.te.s mais qui sont propres à chacun.e – irriguent les œuvres de cette exposition.
Marisabel Arias
Née en 1985, à Lima, Pérou.
Vit et travaille à Bâle, Suisse
Depuis plusieurs années, Marisabel Arias concentre son travail sur l’amour, le romantisme et le désir. Le cœur en est sans doute la forme la plus explicite. Elle décide alors d’effectuer des recherches historiques pour mieux en saisir les origines. Dans l’espace de la Chaufferie, on observe au mur une chaîne fragmentée réalisée avec deux matériaux aux antipodes : la céramique et l’acier. Le premier est délicat et peut facilement se briser, tandis que l’autre est robuste et résistant. Par ces micro-sculptures, l’artiste matérialise les relations et met en exergue la complexité de l’amour.
Sylvain Baumann
Né en 1981 à Lons Le Saunier, France.
Vit et travaille entre Bâle (Suisse) et Madrid (Espagne).
Sylvain Baumann scrute notre environnement et cherche à comprendre comment ce dernier participe au conditionnement de l’humain. Il explore plus particulièrement les mécanismes de la construction du self. Dès 2018, il entame le projet « TheirTrust®, Operator’s Guide », une réflexion sur la confiance comme outil d’interaction sociale. Il réalise par la suite toute une série de miroirs où il reprend les codes de la littérature grise (terme qui désigne les documents produits par l’administration) ou encore ceux de l’étiquetage des produits de la consommation courante. Face à ce miroir, l’artiste nous invite à remettre en question le rapport que nous entretenons avec notre propre image.
Cécile Baumgartner Vizkelety
Née en 1997 à Bienne, Suisse.
Vit et travaille à Bâle, Suisse.
Dans la série de sept vidéos Des pieds qui sentent, on assiste à l’exploration par les pieds de toutes les pièces d’un appartement. La caméra ne laisse jamais apercevoir le visage de la protagoniste et reste focus sur le bas du corps. Les jambes filmées sont velues et les ongles de pieds s’apparentent plus à des griffes acérées. Les deux vidéos, choisies pour cette exposition, permettent de suivre l’inspection d’un sofa et d’une plante d’intérieur. Malgré des mouvements lents et sensuels, on devine qu’à tout moment, les gestes peuvent devenir hostiles…
Baptiste Bonnard
Né en 1988 à Bern, Suisse.
Vit et travaille à Genève, Suisse.
Pour la réalisation de Quelque chose d'autre de quelque chose d'autre, Baptiste Bonnard utilise un logiciel de game design permettant de créer un avatar 3D, de la motion capture ainsi qu’un algorithme de cut-up. Le visiteur s’allonge sur un dispositif pour visionner et contempler un corps fictif. Porté par une musique ambient, on écoute attentivement les réflexions de ce personnage dépressif et tourmenté par la mort. On observe progressivement son enveloppe subir des mues successives : patterns de cicatrices ou putréfaction. Via le numérique, Baptiste Bonnard évoque le fantasme collectif de la réincarnation et des espoirs portés par l’apparition des nouvelles technologies.
Oliver-Selim Boualam
Né en 1992 à Stühlingen, Allemagne.
Vit et travaille à Karlsruhe, Allemagne.
Designer de formation, Oliver-Selim Boualam réalise des objets entre art fonctionnel et design sculptural. Il collabore également avec Lukas Marstaller avec qui il forme le duo BNAG. Ils réalisent ensemble les pièces en céramique Body Buddies qui s’inspirent des parties du corps humain. À la Chaufferie, on observe depuis le rez-de-chaussée un imposant vase nez. Avec cette série, ils souhaitent célébrer la beauté et la diversité des corps. De l’autre côté de la mezzanine et toujours dans un registre humoristique et ludique, Oliver-Selim Boualam présente une assise en céramique inspirée des bras musclés et rebondis des bodybuilders.
Élie Bouisson
Né en 1996 à Paris, France.
Vit et travaille entre Paris et Strasbourg, France.
Dans son travail sculptural, Élie Bouisson éprouve et contraint le corps au contact de la matière. Il réalise des moulages en plâtre et se laisse volontiers porter par le hasard du résultat. Lors de l’extraction d’un membre ou d’un corps tout entier, les éléments textiles du modèle viennent teinter de manière aléatoire la matière. À cette étape, il ne reste finalement qu’un plâtre évidé laissant apparaitre la trace d’une présence humaine. L’artiste est attiré par la matière vivante et ses pièces révèlent toute la vivacité qui peut émaner d’un corps.
Boyband CHIC
David Bregenzer
Né en 1991 à Ermensee, Suisse.
Vit et travaille à Bâle, Suisse.
Simon Lanz (12.04.1993)
Né en 1993 à Roggwil, Suisse.
Vit et travaille à Berne, Suisse.
Oppliger Noël
Né en 1998 à Tuggen, Suisse.
Vit et travaille à Zürich, Suisse.
Samuel Rauber
Né en 1990 à Berne, Suisse.
Vit et travaille à Berne
Flavio Witschi
Né en 1999 à Jegenstorf, Suisse.
Vit et travaille à Zürich, Suisse.
Depuis 2018, les membres du collectif s'appuient sur les mécanismes de la culture populaire et de la musique pop. Ils utilisent majoritairement la forme narrative du clip de musique et dans Isotonisch, ils évoquent le coup de foudre et la peine de cœur. On y découvre les trois membres du boysband et un homme bodybuildé s’entrainant à la salle. Un liquide bleu coule tout au long de la vidéo et l’on devine que cela pourrait être une boisson isotonique ou un liquide corporel. Au printemps 2022, Boyband CHIC sort son premier court-métrage Looking for Alaska. Dans un registre moins humoristique, on suit dans cette vidéo trois protagonistes fictifs décrire leur quotidien et spéculer sur le sens de leur existence.
Anna Byskov
Née en 1984 à Quito, Équateur.
Vit et travaille à Mulhouse, France.
Anna Byskov réinterprète la célèbre Bocca della Vérita, sculpture datant du Ier siècle avant J-C, visible encore aujourd’hui dans l’église Santa Maria de Cosmedin à Rome. Sa fonction reste toujours incertaine mais sa légende perdure. La Bouche de la Vérité aurait tranché la main de tous ceux qui mentaient. Avec facétie, Anna Byskov propose aux visiteurs de rejouer le même geste : plonger la main dans la bouche de cet imposant médaillon pour ainsi déclencher les gémissements de l’humanité.
Alexandre Caretti
Né en 1996 à Besançon, France.
Vit et travaille à Strasbourg, France.
Alexandre Caretti convoque ici ses souvenirs les plus intimes. Dans cette vidéo, l’artiste dévoile et aborde un sujet qui peut sembler embarrassant : ses problèmes d’impuissance sexuelles durant son adolescence. Pour créer le dispositif qui l’accompagne, l’artiste a récupéré le bois provenant du mobilier de sa chambre d’adolescent. Ces objets deviennent, en quelque sorte, la mémoire de ses frustrations, de ses peines et de ses désirs. I love E.T. L’extra-tendresse est une tentative pour réfléchir les frontières de ce qui définit les masculinités.
Judith Kakon
Née en 1988 à Bâle, Suisse.
Vit et travaille à Bâle, Suisse.
MR BAMBA est la photographie agrandie sur papier glacé d’un flyer de marabout que Judith Kakon a trouvé par hasard dans les rues de Londres. Vantant les mérites de ce guérisseur spirituel, le prospectus vous informe qu’il serait capable de résoudre vos problèmes : job, problèmes de couples ou encore magie noire, tout semble à sa portée. Avec une solide expérience, vos souhaits pourraient alors se concrétiser…
Marguerite Kalt
Née en 1998 à Paris, France.
Vit et travaille à Strasbourg, France.
Marguerite Kalt axe ses recherches actuelles sur la notion d’intimité et s’intéresse au vitrail comme supports de narration. Elle matérialise et rejoue un souvenir d’enfance dans l’installation Un·e sur 94%, À travers la fenêtre de ses parents, elle se rappelle avoir été happée par la lumière du téléviseur de la voisine d’en face. L’artiste décide de sérigraphier sur une plaque de verre un texte sur cette femme. Entre récit et fabulation, l’artiste décrit celle qui regardait l’émission « N’oubliez pas les paroles ».
Lysann Köning
Née en 1986 à Zwickau, Allemagne.
Vit et travaille à Bâle, Suisse.
Mettre une nappe sur la table peut paraitre désuet tout comme s’attarder sur la symbolique des fleurs et leur langage. Elles expriment le plus souvent un sentiment amoureux mais elles peuvent également rendre compte de nos états d’âme ou de nos désirs. Lysann Köning réalise des collages numériques et s’est plus particulièrement intéressées dans cette installation à trois fleurs : la pivoine, le bouton d’or et le freesia. Elle opère une collecte d’images associées à leurs multiples significations. D’après ses recherches sur Internet, la renoncule représente l'ignorance, la richesse et la prévoyance. Quant à la pivoine, elle illustre l'amour, la bravoure, la richesse et la santé. Et enfin, le freesia incarne la jeunesse, l'innocence, l'amour et le bonheur.
Raphaël-Bachir Osman
Né en 1992 à Creil, France.
Vit et travaille à Mulhouse, France.
Dans ses peintures, Raphaël-Bachir Osman explore des sujets drôles et absurdes. Il jette son dévolu sur des éléments de son quotidien et entreprend de dépeindre le banal. À base de saucisses, bretzels ou encore assiettes vides, l’artiste joue également de la matérialité de la peinture et des reflets. À la Chaufferie, le visiteur peut aussi bien se voir dans une grosse cuillère en inox que dans la biscotte qui l’accompagne, tant la couche de peinture est épaisse et grossière. À GarageCOOP, le chocolat redevient solide et compact. L’artiste propose un diptyque décalé mettant en parallèle le « six pack » versus la tablette de chocolat au lait.
Emma Pidré
Né en 1989 à Buenos Aires, Argentine.
Vit et travaille à Bâle, Suisse.
La sculpture puzzle d’Emma Pidré s’apparente à un cœur morcelé composé de toiles d’araignées, de papillons et de chaînes. Cette œuvre évoque toute la complexité des relations, amoureuses ou non. Il suggère ici des sensations émotionnelles et physiques comme l’emprise ou bien, l’attachement viscéral. Lorsque les doutes et les difficultés surviennent, il est alors fondamental d’appréhender les sentiments de l’autre pour ainsi mieux recoller les morceaux.
Niki Yelim
Née en 1993 à Daejeon, Corée du Sud.
Vit et travaille à Zurich, Suisse.
Niki Yelim s’empare de la figure du dragon pour explorer la notion d’identité. En tant qu’asiatique, l’artiste est confrontée inlassablement à de nombreux préjugés et stéréotypes en Europe. Bien souvent considéré comme invincible, l’artiste s’inspire du reptile écailleux pour affronter et tenter de vaincre les idées préconçues. Cette armure devient somme toute un rempart symbolique aux dommages corporels, sociaux, culturels et émotionnels.
Johanna Cartier concentre ses recherches sur des sujets considérés comme marginaux. Les PMU, le monde des routiers ou encore le mouvement techno « gabber », sont autant de sujets que l’artiste fouille et décortique avec empathie. Son travail se matérialise via la peinture, le dessin, la sculpture, l’installation ou encore la vidéo. Bien souvent fondé sur des observations, des expériences et des témoignages variés, son travail débute par des images collectées sur Internet ou par des objets chinés dans des vide-greniers. Sa pratique se nourrit de recherches approfondies qui peuvent l’amener à échanger avec les individus concernés par la thématique traitée. Fascinée par des univers à contre-courant, souvent mal perçus, elle examine et questionne de nombreux clichés, tabous et idées reçues.
Pour son exposition personnelle à KOMMET, Johanna Cartier convoque ses expériences et ses souvenirs les plus intimes. Dans ses œuvres, elle nous délivre un bout de son adolescence passée dans la diagonale du vide et s’attache à montrer ce que peut être la vie de jeunes filles en milieu rural. Ces dernières grandissent bien loin du monde urbain, bien loin de l’anonymat. Drague aux abords d’une cage de foot ou travail dans l’exploitation agricole familiale, elles évoluent sur un territoire où il y a peu d’activités, peu de loisirs et où les commerces de proximité ont quasi disparu. Le lavoir, l’arrêt de bus ou le stade de foot, deviennent ainsi des lieux propices aux rendez-vous entre amis, et plus si affinités.
Johanna Cartier métamorphose l’espace d’exposition et recrée un petit bout de campagne en plein cœur de la Guillotière. On observe un faux gazon et un pan de mur peint en jaune fluo qui pourrait être celui d’un champ de colza ou bien de ces affiches visibles le long des routes et des ronds-points indiquant « bal des pompiers », « brocante », etc. Elle décide également d’éplucher ses anciennes conversations Facebook et nous plonge un peu plus dans l’univers des ragots et des ados.
À KOMMET, l’artiste s’empare d’objets symboliques et joue constamment sur des doubles sens pour faire ressortir des sujets plus profonds. Ainsi, elle met ici en parallèle la cage de foot avec le rêve de rencontrer l’amour et de s’unir pour la vie. Observant à la campagne que le mariage est généralement une fin en soi, la cage alors féminisée par des centaines de strass, arbore un imposant voile. Le but devient ici le symbole d’une aspiration prégnante dans le monde rural. Questionnant les relations humaines et sociales, elle explore aussi la manière dont les jeunes filles adoptent certains comportements pour s’adapter aux schémas patriarcaux. De temps à autre, perçues comme des copines, de futures épouses ou encore comme des cibles, elles naviguent fébrilement entre hypersexualisation précoce et pression du jugement. « Vivant dans des espaces où l’interconnaissance est forte, où les commérages participent à classer et déclasser socialement les individus entre eux, et où les histoires et les qu’en dira-t-on se transmettent de génération en génération, les jeunes femmes doivent faire avec et tout faire pour ne pas y être associées »1.
Expression relevant d’un danger ou d’une interdiction, Johanna Cartier utilise et détourne des panneaux de signalisation et offre aux visiteurs différents niveaux de lecture. Gare aux mauvaises fréquentations si l’on ne souhaite pas que sa réputation et sa respectabilité soit entachée. En effet, les « jeunes filles du coin » ont l’habitude de rester sur le qui-vive et évitent, de près comme de loin, les potentiels prédateurs. Si l’on dépasse le sens littéral de la pancarte « Attention auX chienS » cette dernière évoque alors les hommes graveleux et dangereux.
Néanmoins, quitter le foyer peut s’avérer complexe lorsque l’on ne possède aucun moyen de locomotion et, de là, peuvent surgir des sentiments d’enfermement et de frustration. Les jeunes filles se laissent volontiers séduire par les jeunes des villages voisins propriétaires de scooters. Johanna se souvient que ces cavaliers motorisés lui permettaient de défier certains interdits. Par exemple, elle s’échappait pour des virées nocturnes pour fumer la chicha en douce. Sa meilleure amie en était l’heureuse propriétaire et, par chance, les « gars du coin » véhiculés pouvaient amener le matériel nécessaire : briquet, charbon et autres accessoires indisponibles dans son propre village de campagne. La chicha crée ainsi un nouveau prétexte pour se regrouper et échanger. À KOMMET, une femme suçote une tétine tandis qu’un homme semble fumer la chicha. Par sa forme fine et phallique, les tuyaux renvoient à la figure du serpent. En sélectionnant certains des objets présentés dans cette exposition, Johanna Cartier aborde implicitement le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Johanna Cartier entremêle, dans cette exposition, objets réels, images mentales, expressions et clichés ruraux. Marquée par cette adolescence loin de tout, elle prend du recul et pose tout dorénavant un regard compréhensif et admiratif sur ces personnes qui vivent et travaillent à la campagne. En dressant ce portait, à cheval entre la réalité et la fiction, elle s’interroge encore aujourd’hui à la construction des relations sociales dans le monde rural et cherche à mieux saisir ses fondements.
L'exposition T/MBER! a reçu le soutien du fonds SCAN, bourse de production portée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes pour la création numérique.
https://www.simonlazarus84.com/
Pendant leurs études à l’École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne, Laura Ben Haïba et Rémi De Chiara entament un processus de réflexion autour des pratiques curatoriales. Leurs considérations sont marquées par une volonté d’expérimentation en dehors des contextes institutionnels. Au démarrage, Laura et Rémi expliquent que les prémices de ce projet de micro-lieu sont nées d’un réel désir d’émancipation et d’autonomie. Ceci n’est pas sans rappeler que, dans l’imaginaire collectif, l’objet voiture incarne bel et bien l’idée d’indépendance et de liberté individuelle. En décembre 2018, l’engin, hérité du grand-père de Rémi, ne passe pas le contrôle technique. Le couperet tombe : le véhicule n’est plus autorisé à stationner sur la voie publique. Afin d’éviter un quelconque autre calage, ils étudient les failles et embrayent sur des démarches administratives leur permettant de conserver l’automobile. Pour sa dernière journée en roue libre, la vieille auto est accueillie à l’URDLA de Villeurbanne et y restera garée pendant près d’un an et demi. Laura et Rémi mettent à profit ce lieu de stationnement pour penser, conceptualiser, bricoler et imaginer le potentiel devenir de leur Ford Escort 1.6 L 16 V de 1997.
Début 2019, c’est donc sur les chapeaux de roues que Laura et Rémi réhabilitent leur voiture après une dizaine d’années de bons et loyaux services. Dénuée de sa fonction originelle, elle conserve néanmoins toute son intégrité pour évoluer et devenir un nouvel espace de monstration expérimental. L’habitacle a totalement été repensé et adapté pour se transformer en un micro-lieu. On retrouve aisément certains marqueurs intrinsèquement liés à un espace d’exposition : vitrine, lumière, sol, identité visuelle, signalétique, feuille de salle et parfois même faux plafond. Après l’extraction de la banquette, le duo décide d’installer un large plateau en bois faisant office de sol, laissant tout de même resurgir le volant côté conducteur. En effet, la manière dont a été réhabilitée le véhicule met en évidence la volonté de préserver la majeure partie de ses caractéristiques. Laura et Rémi stockent et archivent avec soin le moindre élément démonté ou afférent aux souvenirs et à l’histoire même de leur Fort Escort : garnitures, plastiques ou encore photos de vacances. Ces différents éléments deviennent des témoignages et de véritables ressources qui tendent à être réemployés et exploités au gré des projets.
Le rapport que nous entretenons avec la voiture démontre un caractère ambivalent. Il y a une certaine forme d’attachement à cet objet et plus particulièrement à ce sentiment de liberté que la conduite peut procurer. Cependant, la voiture peut aussi être perçue comme un objet de posture et d’identification sociale. Son usage est en constante évolution et de nouveaux enjeux majeurs, liés à la sécurité routière ou encore au développement durable, émergent. Dès les années 2000, on note l’apparition de dispositifs encourageant le covoiturage qui contribuent pour une part non négligeable à sa démocratisation. Avec Super F-97, Laura et Rémi « covoiturent » en démultipliant les collaborations avec différents acteurs : artistes, commissaires, structures culturelles, conducteurs, ou encore simples promeneurs. Les individus participent en quelque sorte à un road-trip au ralenti, alternatif et expérimental.
De toute évidence, Super F-97 nécessite d’être déplacée, tractée, selon les différents projets menés. Cet artist-run space, devenu progressivement nomade, ouvre le dialogue entre les œuvres et leurs contextes et cette mobilité permet d’accroître le champ des possibles. L’environnement spatial changeant détermine de fait la nature de sa réception par le public mais aussi de son appropriation. Comme le précisent Laura et Rémi, chaque nouvelle localisation donne lieu à « un nouveau terrain de jeu ». En décrivant ce micro-lieu sur roues, on s’aperçoit rapidement du potentiel fédérateur qu’implique un projet comme celui-ci.
home alonE s’inscrit dans cette multitude de projets alternatifs qui s’affranchissent du carcan muséal pour expérimenter l’espace domestique comme lieu d’exposition. En 1986, l’historien de l’art et commissaire belge Jan Hoet conçoit, dans la ville de Gand, l’exposition-manifeste « Chambres d’Amis1 ». Une cinquantaine de gantois·e·s accueillent des artistes et leurs œuvres au sein même de leurs habitations. Les contours de ce projet curatorial a également été repris lors de la Biennale de Lyon en 2013 avec le programme Chez moi impulsé par Veduta2. Ce sont soixante-dix appartements et maisons qui ouvrent leurs portes aux artistes présenté·e·s lors de cette biennale. Les amateur·rice·s qui acceptent d’y participer, cohabitent pendant plusieurs mois avec une œuvre et sont invité·e·s à partager leurs expériences. Pour ces différentes initiatives, il ne s’agit pas de reconstruire une salle d’exposition mais bien de conserver le caractère originel du lieu d’habitation servant ainsi de contexte et de support aux artistes invité·e·s.
home alonE fait écho au titre original du film de 1990 Maman, j’ai raté l’avion ! Aucun vol ne sera pris vers une quelconque destination pour implanter ce projet : contrairement à certains artistes diplômé·e·s qui déménagent dans des villes comme Paris ou Marseille, Romane et Bruno ont souhaité s’installer durablement à Clermont-Ferrand. home alonE rejoint alors une dynamique plus générale impulsée par un écosystème de lieux et de projets clermontois qui se sont créés depuis les années 2000 : le lieu d’art In extenso (2002), La Tôlerie (2003), La belle revue (2009), Artistes en Résidence (2011) ou encore Les Ateliers (2012). C’est au milieu de cette énergie contagieuse que l’essence même de ce projet expérimental s’est dessinée : donner de la visibilité aux artistes qui évoluent sur le territoire.
Ne souhaitant avoir aucune ligne artistique prédéfinie, la programmation d’home alonE se veut libre et mouvante. Dès la première année d’activité, Romane et Bruno organisent des événements éclectiques dans leur appartement, comme les « ciné-mystère » puis les « ciné-resto-mystère ». Les films projetés, comme les repas associés, ne sont jamais annoncés en amont. home alonE déjouant une fois encore les règles de diffusion classique. Les expositions et les événements se programment au gré des rencontres, comme en 2015, où Bruno et Romane sont contacté·e·s par Clawson & Ward, deux artistes anglaises qui souhaitent exposer dans le lieu. Les discussions mènent vers un échange d’appartement et d’atelier. Les artistes viennent occuper home alonE tandis que Romane et Bruno s’envolent pour Bristol. De cette expérience est née la volonté de créer KITE3, plateforme ayant pour vocation de mettre en relation des espaces gérés par des artistes en vue d’établir des échanges entre lieux. Astucieuse manière de coopérer, de faire du commun et de susciter des rencontres entre artist-run spaces.
En 2018, l’artiste Clara Puleio rejoint le projet et ouvre les portes de son logement rue du Port. Romane conserve l’appartement place Saint-Pierre et Bruno emménage rue Drelon, toujours à Clermont-Ferrand. Plus récemment, l’artiste Hervé Bréhier s’installe comme nouveau « franchisé » home alonE dans son village de Saint-Pierre-le-Chastel. Le concept de la « franchise » est ici détourné et adapté aux enjeux développés par home alonE. Il passe de main en main, personne ne souhaitant se l’approprier, mais chacun voulant développer un projet pluriel. En commençant dans un seul appartement, le projet comprend aujourd’hui quatre lieux apposant avec facétie un logo distinct : une maison retournée, un porche, un cornichon et un potiron. Ce projet est collectif mais chaque espace dispose de sa propre liberté et sa manière d’expérimenter l’espace d’exposition habité. Par exemple, Bruno choisit volontairement le couloir de son appartement – un lieu de passage – pour proposer à Marion Chambinaud en juillet 2020 d’exposer ses sculptures. Il souhaite également créer de nouvelles formes d’archivages et est animé par l’envie de dessiner et d’exprimer sa relation contextuelle avec les œuvres.
Depuis sa création en 2014, trente-neuf expositions, événements ou projets ont déjà émergé. Romane, Bruno, Clara et Hervé entendent systématiquement donner carte blanche aux artistes qui éprouvent le désir d’expérimenter dans leurs espaces d’exposition-logements. home alonE est une démonstration d’un projet multiforme qui, en perméabilisant les sphères publiques et privées, permet l’éclosion d’une myriade de rencontres.
Notes
home alonE, Clermont-Ferrand
http://www.homealone.tk
https://www.inextenso-asso.com/
https://www.latolerie.fr
http://www.artistesenresidence.fr/
http://www.clawsonandward.co.uk/
http://www.marionchambinaud.com
Via le médium photographique, la vidéo et l’installation, Amélie Berrodier flirte avec l’image documentaire pour révéler des scènes de la vie quotidienne. Loin du mythe de l’artiste travaillant seul.e dans son atelier, elle provoque des rencontres lui permettant d’établir le point de départ de son processus créatif. Ses productions sont imprégnées de son rapport à l’Histoire de l’art et plus spécifiquement à celle de la photographie. Consciente de l’élargissement de la production d’images qu’offrent les avancées techniques, elle joue de l’ambiguïté de son appareil reflex. En effet, ce dernier lui permet à la fois de réaliser des photographies, mais aussi de filmer un individu sans qu’il n’en soit forcément averti. L’évolution du portrait la questionne et, pour son exposition au Centre d’art Madeleine-Lambert, Amélie Berrodier a souhaité travailler avec un public de scolaires autour de la thématique de la photo de classe. Cette exposition résulte d’une résidence sur le territoire vénissian d’octobre 2019 à février 2020 dans douze classes de quatre écoles (groupe scolaire Ernest Renan, école élémentaire Charles Perrault, école élémentaire Parilly, groupe scolaire Anatole France), ainsi qu’à la Maison de l’enfance Anatole France et au Centre social Roger Vaillant.
En amont de cette résidence, Amélie Berrodier a opéré un travail minutieux de recherches et d’investigations, tant sur le contexte de l’école en tant qu’institution, que sur l’utilisation et l’essor de la photographie. Les avancées techniques liées au médium photographique ont permis, entre autres, de réduire les temps de poses. Par conséquent, les clichés de natures mortes, de paysages ou d’architectures ont progressivement laissé place à de nouveaux contenus comme la photographie de portrait. Notons également que l’apparition de la photographie et de l’école que l’on connaît aujourd’hui interviennent tous deux au début du XIXe siècle. Comme l’explique Christine Charpentier-Boude, docteure en sciences de l’éducation, l’école et la photographie sont devenues des objets politiques et sociaux à la même époque. « Parallèlement à la participation de l’État à leur essor, elles furent le moyen de satisfaire, l’une, le désir d’instruction des individus, l’autre, le désir de représentation de ces derniers »1. Les photos de classe, jusqu’alors réservées aux élites, sont progressivement diffusées et démocratisées. Ces clichés ont permis de répondre à un besoin et un réel désir institutionnel de représentation. Ainsi, cette prise de vue comme portrait collectif, allait permettre l’émergence d’une mémoire collective. La photo de classe se vulgarise et se retrouve peu à peu dans les archives familiales. « Aujourd’hui, nous les retrouvons sur la télévision ou l’étagère du salon, un peu comme des ex-voto qui rendraient grâce au savoir et à l’institution formatrice et intégrative »2. Dès lors, on observe effectivement un glissement de la sphère publique vers la sphère privée.
Amélie Berrodier utilise la photographie et la vidéo pour capter certains instants intimes de notre quotidien. Lors de résidences ou lorsqu’elle provoque des rencontres en faisant du porte-à-porte, elle adapte systématiquement son dispositif prenant en considération le contexte et les personnes qu’elle approche. Elle cherche à nouer des liens et tente, dans certains cas, de faire oublier la présence de la caméra. Lorsque l’artiste réalise des courts-métrages, il lui arrive d’élaborer un scénario en vue de demander aux individus filmés de rejouer des scènes de leur vie quotidienne. Les résultats de cette pratique se trouvent dès lors à l’intersection du documentaire et du récit fictionnel. Dans toutes ses productions, Amélie Berrodier sonde notre façon de nous donner à voir. Elle souhaite ainsi révéler ces moments de contrôle que nous exerçons lorsque nous sommes photographiés. Pour sa résidence à Vénissieux, elle a souhaité explorer cette question avec un public qu’elle n’avait pas encore eu l’opportunité de photographier ni de filmer. Pendant cinq mois, elle a travaillé aux côtés d’enfants âgés de trois à douze ans, afin d’éventuellement percevoir un plus grand « lâcher-prise » lors de ses captations vidéo. L’artiste cherche en effet à mettre en exergue la spontanéité des enfants ayant, contrairement aux adultes, moins l’habitude de contrôler leur image.
La première étape est la rencontre avec les encadrants et les enfants, puis la présentation de son travail. Ensuite, les enfants sont sollicités afin de collecter une multitude de photos de classe provenant de membres de leurs familles. Ce corpus d’images permet aux enfants de trier, compiler et archiver ces clichés mais surtout de comprendre l’évolution du portrait du XIXe siècle à nos jours. Sept catégories de photographies sont ainsi définies : noir et blanc, individuelles, collectives, en salle de classe, déguisés, en intérieur ou en extérieur. Grâce à ce support visuel, Amélie Berrodier évoque avec les élèves, allant du CP au CM2, l’histoire du médium photographique, les différents types de poses ou encore les modes vestimentaires selon les images étudiées. Certaines notions de vocabulaire utilisées en photographie sont également abordées, comme le cadrage, le fond ou encore l’arrière-plan. Ces premières séances permettent à l’artiste d’échanger avec les enfants et de créer une solide relation avec eux avant de réaliser les premières prises de vue.
Pour la seconde étape de cette résidence, Amélie Berrodier propose aux scolaires d’imaginer et de définir les mises en scène qu’ils souhaitent réaliser, prenant comme références les différentes catégories identifiées lors de l’analyse du corpus d’images.
Lors de la troisième étape, les enfants prennent la pose lors de clichés individuels et collectifs. Le protocole et le dispositif que l’artiste établit pour ce projet est précis : pour chaque mise en scène elle positionne l’appareil photo reflex, définit un cadrage pour son plan fixe, règle la mise au point et installe un micro permettant de capter les sons ambiants. Le moment de la prise de vue semble favoriser une véritable exaltation collective qui va pouvoir s’exprimer au cours des mises en scène pourtant soumises à un contrôle instauré en amont. Amélie Berrodier commence systématiquement ses prises de vue par une photographie puis, sans informer les sujets, enclenche le mode vidéo de son appareil. L’artiste est physiquement absente dans ses vidéos, pourtant, sa présence est tout aussi prégnante. Effectivement, elle décide de très peu interagir avec les individus qu’elle filme afin de laisser une plus grande liberté de gestes et d’expressions. La captation, basée sur une mise en scène prédéfinie avec les enfants, procède progressivement d’un jeu de non-contrôle. Ces vidéos éclairent, lors du moment de la prise de vue, les intentions, les automatismes et montrent la manière dont le corps exprime une part non-verbale de la communication. Certaines mises en scène montrent notamment des situations où les affects et les mouvements sont difficiles à canaliser pour certains enfants. Cela mène à des moments de vie filmés où certains tentent de rester immobiles tandis que d’autres cherchent inlassablement l’interaction avec leurs camarades. En tant que spectateur, on observe alors les portraits d’individus mêlés à des dynamiques de groupes traduisant ainsi leurs relations intersubjectives.
Que le portrait soit individuel ou collectif, les personnes que l’artiste filme ne sont jamais seules lors des captations. Force est de constater que, très rapidement, les enfants commencent à décrocher et oublient petit à petit qu’ils sont face à un appareil photo reflex. Ces prises de vue latentes créent bien souvent des situations étranges. Dans ces portraits filmés, certains visages se décomposent et les regards sont de moins en moins dirigés vers l’objectif. À maintes reprises, on comprend que les individus se laissent accaparer par leurs pensées, allant parfois jusqu’à nous faire partager des scènes intimes de jeux d’enfants. Dans la pensée psychanalytique de Freud, « L’Unheimlich [traduit en français par inquiétante étrangeté] est ce qui est à la fois étrange et familier. Double et ambigu, il s’avère être un phénomène de « l’entre-deux », entre l’inconscient et le conscient, l’intime et le monde sensible, entre le présent et l’absent »3. Ici, tout se joue finalement sur le glissement progressif d’un état à un autre, mis en lumière par le passage du médium photographique à la vidéo.
Cheese! est le nom qu’Amélie Berrodier a donné à son exposition au Centre d’art Madeleine-Lambert, mais c’est aussi le titre de l’installation qu’elle présente. Ce terme, fréquemment employé par les photographes, est utilisé pour inciter le modèle à sourire. Le point d’exclamation est, quant à lui, utilisé pour marquer l’injonction : on donne l’ordre de sourire. Le musicien Stromae joue également de l’ambiguïté de l’expression cheese dans les paroles de son morceau éponyme. Comme l’explique Amélie Berrodier : « Il parle du sourire forcé et de ce qu’on impose à un enfant. Le mot cheese ou le fameux ouistiti rappelle aussi les sourires figés sur les photos de classe. » 4 Dans la salle d’exposition, la scénographie a été imaginée avec des éléments caractéristiques du cadre scolaire. Une série de huit séquences vidéo est ainsi projetée sur des tableaux d’école. Certains sont des tableaux verts, au fini mat, tandis que les tableaux Velleda donnent un aspect brillant aux images. Plus qu’un élément de scénographie lié à l’école, les projections sur ces différents tableaux fait une fois encore référence au médium photographique, notamment au rendu de certains papiers que l’on utilise pour le développement de pellicules.
Fascinée par les portraits filmés silencieux, Amélie Berrodier permet aux visiteurs de concentrer leurs regards sur des moments qui, habituellement, ne sont pas l’objet principal de notre attention. Les dispositifs et protocoles qu’elle emploie lui permettent de faire apparaître des émotions et des situations qui peuvent sembler décalées et qui sont, bien souvent, teintées d’humour. Le portrait animé devient familier, il confirme ou infirme l’impression première, enrichissant le spectre des récits. L’installation Cheese! convie les visiteurs aux spectacles d’un quotidien en suspens. Amélie Berrodier inscrit durablement ces captations filmées dans le temps et l’espace, et nous permet de porter un regard sur des instants d’expectative entre deux photographies.
Damien Fragnon exerce une pratique de la sculpture et de l’installation et crée ainsi des environnements narratifs dans les espaces où il expose. Il mène une réflexion sur le monde et s’interroge sur la relation humain-nature. Ses recherches procèdent systématiquement d’un triple geste : l’observation, l’expérimentation puis la disparition. Ce n’est donc pas sans rappeler la nature qui agit elle-même par processus. Tantôt explorateur, il utilise essentiellement des matériaux qu’il collecte autour de lui, comme des pierres, des branchages, ou encore des bouteilles en verre. Travaillant par polarité, il confronte des éléments qui mêlent état naturel et intervention humaine. Tantôt scientifique, Damien Fragnon s’adonne également à la rédaction de protocoles afin de pouvoir comparer ou faire évoluer ses résultats. Il y retranscrit méthodiquement les expérimentations opérées sur la matière. En effet, les éléments qu’il sélectionne subissent les traces du temps et les intempéries. Abandonnés pendant une période définie, par exemple au détour d’une forêt, ou l’érosion naturelle d’une corde volontairement recouverte de sel.
L’exposition Un mirage irisé, dont le nom évoque un phénomène illusoire dû aux réfractions lumineuses, s’est attachée à rendre possible l’existence d’un « solo show confiné ». Cette dernière a été conçue pendant la période de confinement. Installée et pensée pour être visible de l’extérieur de KOMMET mais aussi déclinée en ligne. Pendant toute la durée de l’exposition, Damien Fragnon invite conjointement une communauté d’artistes plasticiens, musiciens, théoriciens, agronomes ou encore architectes, à s’enregistrer et à intervenir en ligne sur la démarche de l’artiste vue par le prisme de leurs activités respectives.
Confiné dans l’Hérault, Damien Fragnon a dû s’adapter à la situation actuelle liée à l’épidémie de Covid-19 pour produire cette nouvelle installation. Qu’ils soient naturels ou manufacturés, son économie de travail reste inchangée : utiliser au maximum des éléments trouvés sur place pour l’élaboration de ses pièces. Pour cette exposition, les matières dont il s’empare lui permettent de créer une installation composite. La rigueur du cuivre, du marbre du plastique ou encore du verre rencontrent la fragilité de la nature, dans un équilibre incertain. Quelques éléments troublent néanmoins notre perception car une ambivalence plane sur le caractère naturel de certaines interventions. Par exemple, un morceau de bois semble avoir été rongé par des insectes et l’on se demande à juste titre si ce n’est pas l’artiste lui-même qui aurait sculpté ou façonné une partie de la matière.
Notons aussi l’importance de la temporalité dans sa pratique, qui se retrouve ici exacerbée par la crise sanitaire. Notre quotidien étant de facto rythmé par les annonces gouvernementales et par l’évolution de l’épidémie. L’artiste tente subtilement de nous plonger dans des environnements qui nous semblent familiers. Par exemple, l’activation automatique de néons colorés, lorsque la nuit commence à tomber, simule des couchers de soleil ou des lumières bleutées qui rappellent les éclairages de lieux industriels.
Cette installation tentaculaire permet à Damien Fragnon des variations infinies. À KOMMET, elle semble figée mais en vérité cette dernière continue d’évoluer de manière autonome, sans la nécessité d’une quelconque intervention humaine. Pendant toute la durée de ce solo show, ces micro-organismes en suspension sont donc voués à muter, à s’adapter et à se transformer. Ainsi, le geste de l’artiste disparaît et la nature reprend peu à peu ses droits sur un environnement transformé par la main de l’homme. À l’ère de l’Anthropocène, on considère que l’humanité est un catalyseur de mutations et de certains processus tels que le réchauffement climatique ou encore la disparition progressive de la biodiversité. Un mirage irisé invite les visiteurs à se placer comme spectateurs et à se questionner sur ces enjeux et problématiques de notre propre survie. Damien Fragnon sonde avec poésie notre perception et notre rapport à la nature en créant ici ce qu’il nomme des « lianes urbaines ».
Commissaire indépendante et directrice de KOMMET, lieu d’art contemporain associatif à Lyon.
« Marine Zonca, née en 1993 à Paris, vit et travaille à Lyon et est diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon en 2017. Sa pratique artistique gravite autour du dessin, de la sculpture et de l’installation. Ses oeuvres, qu’elle nomme « objet-images », sont des formes épurées, fines et précises qui évoquent l’humain. Sa singularité s’exprime dans des protocoles impliquant des pièces modulables qui lui permettent de générer des images paradoxales. Dans une pratique nourrie par la mémoire des lieux et l’histoire des civilisations, Marine Zonca rend sensible le couple spiritualité/désastre. »
À venir :
• Exposition duo Depuis l’île de Pâques à KOMMET (Lyon) du 22 janvier au 28 février 2020
• Exposition collective Portail à DOC! (Paris) du 20 au 27 février 2020
• Exposition solo Coeur fictif à La Serre (Saint-Étienne) du 19 mars au 25 avril 2020
Florence Schmitt développe une pratique sculpturale et picturale l’amenant vers des expérimentations formelles mêlant réappropriation d’objets du quotidien et matériaux tels que le plâtre ou le béton désactivé. Attentive à ce qui l’entoure, l’artiste collecte et fouille dans les images de son quotidien et reproduit certaines de ces scènes afin de les magnifier. Ces moments anodins deviennent ainsi les sujets privilégiés de ses installations, sculptures et peintures : une fontaine, des pots de fleurs, une plante qui vient d’être arrosée sur le perron d’une habitation ou encore la vue d’une terrasse où sont disposés un parasol, une table et un tuyau d’arrosage.
En cette période de problèmes environnementaux, Florence Schmitt manifeste une conscience écologique notamment liée à notre (sur)consommation d’eau. Cette exposition n’est pas pensée comme une critique sociétale mais plutôt comme une mise en exergue d’éléments ordinaires qui, habituellement, nous indiffèrent. Aujourd’hui, les municipalités multiplient les projets de végétalisation tels que les plantations d’arbres, l’effervescence d’éco-quartiers, de jardins partagés ou encore par l’existence du label ville fleurie. Le béton cède ainsi progressivement à des espaces de plus en plus verdoyants. Cette prise de conscience écologique, motivant un grand nombre de ces actions, influe largement sur notre qualité de vie. On constate alors que les fleurs et les plantes vertes envahissent peu à peu nos intérieurs. Dans cette exposition, l’artiste reproduit et crée des récipients factices pour cette végétation domestique. Les pots, coupelles et jardinières pourraient s’avérer être des fragments et des vestiges retrouvés sur un site archéologique. Quelques pots ont été méticuleusement agencés sur un empilement de moulages d’écorces de pins et nous apparaissent comme des socles-fossiles rattachés au temps présent.
Le béton désactivé – ou sa représentation – se retrouve également dans un grand nombre de ses œuvres. Florence Schmitt parle d’un matériau « ingrat » qui est principalement utilisé pour le revêtement de terrasses, de voiries urbaines ou encore dans des allées de jardins. Elle refaçonne ici ce matériau qui la fascine pour créer une stèle rétro-éclairée. Dressée telle une pierre tombale, cette stèle est disposée à même le sol contre un aplat orange formant comme une ombre colorée. Cette dernière semble avoir été causée par le déploiement de la lumière artificielle contre le mur.
La fontaine, élément central de cette exposition, tient une place essentielle dans les aménagements des villes et villages. Autrefois, les populations se retrouvaient aux abords des fontaines et points d’eau pour échanger, discuter, boire ou encore pour laver son linge. La fontaine publique, ayant perdu son usage domestique à la fin du 19ème siècle avec l’arrivée de l’eau courante, reste néanmoins un élément incontournable de notre patrimoine. Florence Schmitt réactualise ces situations pour les visiteurs en leur créant un nouvel espace propice à la discussion. L’artiste y a édifié une fontaine à socle avec vase et son bassin polygonal. Le vase devient ici le réceptacle d’un bouquet de fleurs fraîches qui tend, pendant la durée de l’exposition, à faner. Certains pétales se laissent alors porter par le courant de l’eau. Au-delà de son aspect formel, cette œuvre renvoie à l’éphémérité de notre écosystème.
Tout vient de l’eau nous invite à explorer un espace qui vacille entre le décor de théâtre et la représentation fantasmée d’une architecture qui nous est familière. Ce jeu savant avec le réel, repose sur des représentations de matériaux mêlés à l’utilisation d’éléments naturels et organiques. De cette manière, l’artiste insuffle une part de véracité dans ses œuvres, donnant de nouvelles clés de lecture de ce qui nous entoure. Pour sa première exposition personnelle, Florence Schmitt, aborde et questionne notre rapport à ces objets du quotidien au sein d’une société où nos sphères publiques et privées n’ont jamais été aussi poreuses.
https://schmittflorence.wixsite.com/portfolio
La pratique artistique de Ludovic Landolt gravite autour de l’expérience sonore. Ses œuvres se déclinent sous la forme d’installations, happenings, vidéos et performances. L’artiste s’inscrit dans une démarche sensible du temps, de l’espace et des vibrations qui nous mène vers une appréhension physique des sons.
Ludovic Landolt a conçu, pour sa première exposition personnelle, une nouvelle installation intitulée Klingelkammer. En travaillant in situ à partir du contexte acoustique du lieu, il propose de transcender l’espace d’exposition. Cette installation mobilise l’attention et nous permet de se focaliser sur la propagation des vibrations dans l’espace. Les sons amplifiés par les plaques d’acier, et plus particulièrement les basses fréquences, donnent au médium une nouvelle approche de sa matérialité. L’artiste présente également dans cette exposition l’œuvre Kugelhopfsänger. À la manière d’un objet duchampien, ce moule à kougelhopf est ici totalement dénué de sa fonction première. Retourné et installé sur un socle, il perd ici toute son utilité pour devenir un objet de résonance se rapprochant ainsi de la sonorité d’une cloche. Une série de sons, provoquée par un mécanisme magnétique contre la couronne en téflon du moule à gâteau, met en exergue ses propriétés acoustiques jusqu’alors insoupçonnées.
Cette première exposition à KOMMET est inspirée de l’ouvrage éponyme De Tintinnabulis écrit par l’italien Girolamo Maggi. Emprisonné et condamné à mort lors de l’invasion de Chypre par l’Empire ottoman, ce juge et ingénieur militaire rédigea un traité sur l’usage des cloches qui fût publié à titre posthume en 1609. L’auteur y retrace leurs origines, inventorie leurs différentes utilisations et aborde leurs procédés de fabrication. On note alors l’importance de ces objets puisque les cloches continuent, encore aujourd’hui, de rythmer la vie quotidienne. Elles offrent la capacité à rassembler socialement les individus, qu’ils soient croyants ou profanes. Dans certaines croyances, leurs tintements auraient même des pouvoirs mystiques… S’attachant à la relation des individus aux sons, Ludovic Landolt utilise ici la portée symbolique de la cloche pour créer ces deux dispositifs sonores. La pleine conscience de ces sonorités émane d’un travail minutieux de composition basé sur la fréquence de résonance, la vibration par sympathie et la réverbération.
De Tintinnabulis engage une nouvelle compréhension de l’espace et nous invite à user de nos perceptions sensorielles. Conçu sur les principes du deep listening, ce sound space permet de bousculer nos habitudes d’écoute pour appréhender différemment les oscillations sonores. Cette exposition appelle à une pause méditative imprégnée par la philosophie zen, notamment par le concept d’éveil et de compréhension dénommé satori en japonais.
« Quelle est l’essence du satori […] c’est comme percevoir le son de la grande cloche ou le tambour dans le temple au crépuscule. C’est l’état où les sons et celui qui entend ne font plus qu’un ». Taisen Deshimaru (maître zen)
Les tintements, les vibrations et les résonances sur ces différents objets métalliques, servent ici de principe de composition et de technique d’écriture poétique. Les œuvres de Ludovic Landolt, présentées dans cette exposition, nous invitent à dépasser l’écoute pour ressentir, discerner et apprécier physiquement ces sonorités.
http://ludoviclandolt.com/
Objets adulés, fantasmes de notre quotidien : quelle relation entretenons-nous aujourd’hui aux objets qui nous entourent ? Ne donnons-nous pas trop d’importance à ce que l’on possède ? Les élèves du collège de Bethoncourt ont pu échanger autour de ces questions avec David Posth-Kohler. Ces derniers ont été initiés, par l’artiste, à la sculpture et ont ainsi pu produire à ses côtés la série Invitation, une œuvre collective et participative. Ils ont, dans un premier temps, dessiné dans de la terre les objets dont ils ne peuvent se passer ou qu’ils aimeraient posséder par-dessus-tout. Dans un second temps, des formes ont été conçues en moulant avec de l’alginate les objets que les élèves sacralisent : téléphones portables, consoles de jeux-vidéos, ballons de football etc. Reconstituer ces formes dans des dalles recouvertes de plâtre a permis de démystifier les objets, de les pondérer, en les installant sur un même pied d’égalité. Ces parangons de l’usuel, ainsi créés, permettent de méditer sur la société actuelle, que l’on peut de toute évidence qualifier de consumériste. En effet, la structure sociale moderne semble rendre compte d’une certaine addiction de l’individu aux objets, et c’est ce présupposé qui est ici interrogé.
FR/ Andrés Ramirez explore les différentes modalités du regard et trouble ainsi la perception du spectateur en déployant des formes architecturées dans un espace défini. Les matériaux industriels, comme le béton ou l’aluminium, sont utilisés pour créer des formes qui sont subtilement suggérées par les éléments qui composent le dispositif. En effet, les structures qui se côtoient parviennent en quelques endroits à s’enchevêtrer, amenant le spectateur vers un imaginaire qui le pousse à y voir des surfaces et de véritables volumes. Cette poésie spatiale crée de véritables situations ambigües et notre rapport à l’espace en est alors questionné.
EN/ Andrés Ramirez explores different ways of seeing, and confounds the perceptions of the viewer in his use of architectural forms within a delimited space. He makes use of industrial materials such as concrete or aluminum, creating forms that are subtlely suggested by the elements that compose the installation. The structures that co-exist manage in some places to become tangled, leading the viewer toward the imaginary realm where one is drawn into the surfaces and volumes. This spacial poetry creates ambiguous situations that question our relationship with space